Le Kakemphateur

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Les classiques passés au crible


UNE SOURIS VERTE - Inconnu (XVIIe ou XVIIIe)

Les Prophéties de Nostradamus continuent de surprendre aujourd'hui encore. Et pourtant, il ne s'agit pas des seuls écrits de ce genre. Sous son air innocent, le texte d'Une souris verte composé au XVII-XVIIIe siècle a ainsi prophétisé la menace terroriste d'aujourd'hui. Cela a de quoi surprendre mais c'est en tout cas ce qui en ressort après analyse. Le texte est d'autant plus troublant qu'il demeure anonyme. Parmi toutes les versions disponibles, nous avons retenu la plus populaire. Mais il est tout à fait vraisemblable que chaque version possède ses propres prédictions. Face à un texte écrit il y a plus de deux siècles et qui s'avère d'actualité, Une Souris verte est-elle alors vraiment une comptine pour enfants ? 

Souris Terroriste.jpg

 Une souris verte n'est pas un animal si inoffensif que cela

 

Une souris verte 
Qui courait dans l’herbe.

 

La question posée en introduction est bien entendue rhétorique et l'analyse des deux premiers vers suffira pour vous en convaincre. La chanson ne consiste en effet qu'en une succession de symboles qu'il est nécessaire de déchiffrer pour en comprendre le sens global. Qu'est-ce qu' « une souris verte » (v.1) alors ? Rappelons que rat et souris se confondent dans la littérature. A titre d'exemple, Jean de La Fontaine emploie aussi bien le mot rat que souris pour désigner le même animal. Retenons simplement que le symbolisme de la souris (partagé avec le symbolisme du rat) est celui de nuisance. Une souris dans une maison est avant tout une nuisance. Le début du film Ratatouille le souligne bien (à défaut du film Stuart Little il est vrai).

 

Quoiqu'il en soit ce rongeur est vert. Le texte passe une nouvelle fois par le symbolisme pour délivrer son message. C'est le principe de tout écrit prophétique : être sibyllin. A quoi renvoie la couleur verte alors ? Il s'agit en fait de la couleur de l'Islam. Une souris verte est donc la métaphore des nuisances de l'Islam. Qu'est-ce qui nuit à l'Islam ? Le terrorisme, sujet actuel. Le terrorisme nuit à l'Islam en en donnant l'image la plus menaçante. En ce sens, la souris verte est donc un(e) terroriste.

 

Le thème posé, la première prédiction apparaît directement au vers suivant. Une souris verte qui « cour[t] dans l'herbe » souligne que c'est un animal furtif (elle « cour[t] ») et discret (il a été scientifiquement prouvé que l'on distingue mal du vert sur du vert, autrement dit une souris verte sur de l'herbe). La souris se confond donc littéralement avec le paysage. Si l'on peut affirmer qu'il s'agit ici d'une prophétie, c'est parce que cela renvoie à un fait récent. C'est une référence à l'islamiste français originaire de Normandie qui avait été repéré dans une vidéo de l’État islamique en novembre dernier. Le bougre, s'était, pour ainsi dire, fondu dans le paysage. Une souris verte l'avait prédit.


Je l’attrape par la queue, 
Je la montre à ces messieurs.

 

Il serait toutefois inexact de conclure que la souris verte représente ce personnage. Non, elle reste une image globale des nuisances terroristes en général. Cette nuisance donc, doit être attrapée « par la queue » puis montrer « à ces messieurs ». Qui est ce « je », qui sont ces « messieurs » ? Ce « je » implique en réalité chaque lecteur dans la lutte contre le terrorisme. Je, c'est moi, c'est le lecteur. « Je » doit attraper toutes les souris vertes qu'il trouve par la queue, c'est-à-dire dans la mesure où la souris lui tourne le dos et ne représente pas un danger pour lui-même. C'est la force d'Une souris verte d'introduire dans ses prophéties une certaine morale valable aujourd'hui encore, comme La Fontaine put le faire en son temps.

 

La « souris verte » prise au piège, il faut donc la montrer à ces messieurs. Ces messieurs sont probablement la métaphore des acteurs de la justice terrestre. Ce sont les juges. Il faut rendre justice aux yeux du prophète qui a écrit ce texte.


Ces messieurs me disent : 
Trempez là dans l’huile,

Trempez là dans l’eau, 

Ça fera un escargot tout chaud. 

 

Les directives justicières arrivent en effet rapidement (« ces messieurs me disent ») et l'emploi de l'impératif souligne la nécessité morale d'agir ainsi. Toutefois, le traitement infligé est curieux. La comptine semble prophétiser une justice quelque peu masochiste. L'instance conseille en effet de tremper l'animal « dans l'huile », puis « dans l'eau », pour en faire « un escargot tout chaud. ». En réalité, il s'agit encore une fois d'une prophétie. Récemment, en août 2014, le président américain Obama a reconnu que son pays avait « torturé des gens » après les attentats du 11 septembre. De l'huile et de l'eau ont assurément été utilisés dans ce processus. Une souris verte l'avait encore une fois prédit. Et l'objectif de cette cruauté envers les animaux, envers la souris verte dans le cas présent, a pour objectif d'en faire « un escargot tout chaud ». Autrement dit, d'en faire un animal inoffensif, paresseux et repérable sur l'herbe verte. La question qui sort en creux est la suivante : la justice doit-elle être masochiste ? Une souris verte est donc en ce sens bien plus qu'un texte prophétique, puisque également philosophique. La question n'est pas hyperbolique dans la mesure où elle s'est posée pour la "justice" américaine.

green_mouse.jpg

Attention aux souris vertes, qui se fondent facilement dans le paysage 

 

Je la mets dans un tiroir 
Elle me dit qu’il fait trop noir.

Je la mets dans mon chapeau
Elle me dit qu’il fait trop chaud. 

 

Et puis, comme si le « je » était en rébellion face à une justice appliquant la loi du Talion, il prend ses propres initiatives. C'est ainsi que « je » la met « dans un tiroir », puis dans « [s]on chapeau », puis dans « [s]a culotte ». Le « je » agit différemment de la justice, il veut surtout isoler la souris verte. La rendre inoffensive non pas par une quelconque métamorphose mais par l'isolement. Toutefois, le texte montre un autre défaut de la justice française puisque ce nouveau juge semble faire un peu trop attention au confort du détenu. « Elle me dit qu'il fait trop noir,/ Je le mets dans mon chapeau/ Elle me dit qu'il fait trop chaud./Je la mets dans ma culotte. » Le texte critique d'un côté le laxisme de la justice française actuelle, de l'autre l'application secrète de la loi du Talion. Or la justice est la plus grande des vertus selon le philosophe Aristote, elle doit donc être un juste milieu. Notons toutefois le symbolisme de mettre la souris sous le chapeau : le fait de lui faire porter le chapeau revient à dire lui faire endosser la culpabilité, essayer de changer l'animal. La transformation envisagée n'est plus métamorphique mais psychologique. A défaut d'en faire un escargot, on en change totalement le comportement.


Je la mets dans ma culotte 
Elle me fait trois petites crottes.

 

Malgré les deux formes de justice proposées par Une souris verte (l'isolement et la torture), les deux derniers vers semblent nous mettre en garde. Et l'aspect prophétique du texte fait qu'il faut prendre cette menace au sérieux. En effet, le « Je » répond à toutes les demandes de la souris terroriste et il finit par la mettre dans sa « culotte ». Il sait donc où elle situe, à chaque instant, mais en même temps elle peut agir sur la zone la plus sensible de son corps. La métaphore avec les prisons est assez évidente. Il est dangereux de placer les souris terroristes dans les zones sensibles des prisons. Elles peuvent ainsi toucher les organes de la société. C'est ainsi que dans la chanson, la souris « fait trois petites crottes », dernier acte terroriste qu'il lui est possible de réaliser. A trop de laxisme dans la justice, la menace ne se résorbe pas. Voici une moralité possible de cette fin de texte. A moins qu'il ne s'agisse de l'ultime prophétie... ? Que faut-il voir dans ses « trois petites crottes » ? L'avenir nous le dira...

 

 

Prophétique, philosophique, didactique : ce sont les trois adjectifs qui pourraient définir le texte d'Une souris verte. Derrière la première lecture surréaliste se cachent donc des thèmes majeurs de notre époque. Non, Une souris verte n'est définitivement pas une comptine pour enfants mais un texte à la frontière du sacré, écrit par un prophète inconnu, qu'il convient d'analyser et d'étudier avec le même sérieux que les écrits de Nostradamus. Et ça, personne ne l'avait prédit...

(Version légèrement différente)

 

Le jargon :

Sibyllin: Ce qui est mystérieux ou obscur, dont le sens est difficile à comprendre.

              : Synonyme d'invisible


10/02/2015
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LA DANSE DU LIMOUSIN - Inconnu (Moyen Âge?)

Pour peu que vous soyez étudiant, vous l’avez probablement déjà chantée, peut-être même dansée, mais au fond, la connaissez-vous vraiment ? Derrière ses paroles énigmatiques, la danse du Limousin s’avère être un joyau de la chanson française, un petit bijou à analyser avec la plus grande délicatesse. Passage au crible des composantes de cette célèbre chanson.

Texte ultra rare du Limousin nofake.jpg

 

François* va nous danser,

 

La danse du Limousin est avant tout un échange. Un échange entre un danseur bénévole et une chorale enthousiaste. C’est dans le plus grand respect que le chant de l’un entraîne la danse de l’autre. Ainsi, c’est toujours par le prénom ou le surnom de la personne visée que débute le chant. Tous les choristes sont au service du danseur improvisé, qui rechigne rarement à l’invitation. L’aspect nominatif de la chanson souligne l’importance qu’accorde un groupe à une seule personne. Un cercle se forme généralement autour du danseur, cercle qui se veut symbole de l’absolu, de la perfection, du divin, de l’infini. Le fini (celui qui danse) côtoie l’infini (le cercle qui se forme autour de lui). A l’instar de l’expression d’une entité divine, les paroles sont performatives. En effet c’est bien parce que la chorale chante : « François va nous danser » qu’il va danser, de même, c’est bien parce que Dieu dit « que la lumière soit », que la lumière fut. La connotation religieuse semble donc évidente. Mais c’est toujours dans le plus grand respect que se fait cet échange, puisque le texte insiste bien sur le fait que François danse pour ceux qui chantent (François va «nous » danser). L’hypozeuxe qui parsème chaque strophe et chaque vers va en ce sens (François va nous danser = Pronom / verbe / pronom / verbe, relation symétrique, échange réciproque). En outre, on notera la rythmique délicate de la chanson qui, tel un poème, s’ancre rapidement dans la mémoire (succession de courtes syllabes, sonorités simples etc.)


La danse du Limousin.

 

Au deuxième vers, le polyptote « danser » (v.1) et « danse » (v.2) souligne encore une fois la relation complémentaire entre le danseur et les chanteurs.  Dans le premier vers, l’accent était mis sur François, dans ce deuxième vers, il est mis sur la danse. Mais quelle est cette danse mystérieuse ? Un spectateur béotien n’y comprendrait rien, c’est donc entre initiés que se déroule le rituel. Les mots du vers forment un ensemble, un groupe nominal dont on ne saurait séparer les termes (prenez la pomme de terre par exemple, si vous parler d’une part de la pomme, de l’autre de la terre, vous ne parlerez jamais de la pomme de terre, c’est la même chose ici). A quoi renvoie le Limousin ? Il est difficile de le savoir exactement car cette chanson paillarde se transmet oralement de génération en génération et le terme Limousin peut s’interpréter différemment selon les écoles. Mais l’une des interprétations les plus cohérentes affirme, qu’originellement, le limousin ne doit pas prendre de majuscule car il renvoie au métier de limousin. Il s’agit d’un ouvrier maçon exerçant le limousinage (ouvrage de maçonnerie fait avec des moellons et du mortier). Or, selon Antoine de Saint-Exupéry dans Courrier sud (1929) « chaque jour, pour l’ouvrier, qui commence à bâtir le monde, le monde commence. ». Et selon cette école, c’est bien d’une danse d’ouvrier dont il est question. Ainsi, l’invitation à danser « la danse du limousin » se comprend comme l’invitation « à bâtir le monde », à commencer le monde sous le soutien inconditionnel du peuple symbolisé par les chanteurs. Commencer le monde, cela signifie le créer puisque le commencement est un point de départ. Les chanteurs prêtent donc au danseur le rôle de créateur, d’un Dieu humanisé ou d'un humain divinisé. Le danseur se voit par conséquent bien plus que respecté –puisque divinisé – au deuxième vers. Il faut toutefois noter que les ouvrages des limousins (la limousinerie) étaient particulièrement répandus dans la région du…Limousin, ce qui explique la confusion possible entre le nom propre et le nom commun. Sinon, l’erreur provient sûrement de la méconnaissance du métier de limousin à moins que cela ne soit volontaire pour désigner à la fois le limousin et le Limousin, dans l’unique volonté de rappeler les origines géographiques de la chanson.

 

François va nous danser,
La danse du Limousin.

Le Limousin a dit :
« Enlève ta chemise ».
Le Limousin a dit : « Enlève ta chemise »

 

La répétition des strophes et les nombreux parallélismes ritualisent la chanson. D’une part le danseur, symbole divin, est invité à danser en suivant les instructions, d’autre part, la foule, en cercle autour du danseur, l’honore d’un pouvoir symbolique délégué grâce à une parole performative. La répétition de l’invitation à la danse (« François va nous danser,/La danse du Limousin ») conditionne le danseur. C’est alors que les chanteurs cèdent la parole au Limousin comme en témoigne le discours rapporté (« Le Limousin a dit : »). Pourquoi rapporter le discours de ce mystérieux Limousin pour guider la chorégraphie du danseur ? Comme nous l’avons vu, le danseur est métaphoriquement un limousin qui commence le monde, autrement dit un Dieu créateur. Or, cette chanson date du Moyen-âge, période très religieuse, chrétienne. Une simple foule ne peut se permettre de donner des ordres à un Dieu, aussi symbolique soit-il. Le tabou est donc contourné par le rapportage de la parole du Limousin qu’il faut comprendre comme une entité régulatrice de la chorégraphie du danseur. A l’instar de Jésus qui est Dieu et homme à la fois et qui ne se laisse guider que par Dieu, le danseur du limousin est à la fois Dieu créateur et homme et ne peut se laisser guider que par une autorité supérieure. Le Limousin est justement cette entité. Le danseur danse sa danse. « La danse du Limousin » est ainsi à la fois la danse de l’ouvrier maçon et la danse de cette entité mystérieuse.

Le Limousin invite donc le danseur à retirer sa chemise. Il faut noter que les paroles de la chanson ne sont pas fixes et que si le danseur dispose d’un couvre-chef par exemple, il peut s’agir du premier vêtement cité. Reste à savoir maintenant pourquoi le protagoniste divinisé est invité à se dénuder. L’aspect religieux et chrétien de la chanson nous invite à réfléchir sur la notion de nudité. De fait, la nudité est honteuse depuis la Chute d’Adam et Eve du Paradis selon la religion chrétienne. C’est en quittant le Paradis que le sentiment de honte suscité par leurs corps nus s’est emparé d’eux. Le danseur est invité à se dénuder afin de jouer le scénario inverse de la Chute, celui de l’Ascension. L’objectif est ainsi de redonner à la nudité son sens originel, celui de pureté et non celui lié à la sexualité. Ce faisant, la danse du Limousin s’apparente aux miracles du Moyen-âge. L’objectif est de réconcilier l’homme et sa nudité à travers l’exemple divin en jouant un épisode fictif mais vraisemblable de la Bible, puisque comme nous l’avons vu, le danseur est divinisé.  

CERCLE ULTRA DIVIN.jpgCercle divin.jpg

 

 

François va nous danser,

La danse du Limousin.
François va nous danser la danse du Limousin.

Le Limousin a dit :
« Enlève ton pantalon ».
Le Limousin a dit : « Enlève ton pantalon »

[Etc.]

Le Limousin a dit :
« Enlève ton caleçon».
Le Limousin a dit : « Enlève ton caleçon »

 

  Le cercle divin formé par la foule                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                Conceptions possibles de ce cercle divin

 

Les paroles performatives s’ensuivent donc et l’Ascension en tant qu’antithèse de la Chute s’effectue avec l’accord du danseur. Ce n’est d’ailleurs plus la nudité qui est une honte mais le fait de ne pas se dénuder pour lui. En effet, s’il ne respecte pas les injonctions du Limousin, ce dernier se voit hué par la foule qui lui reproche son manque d’organes, autrement dit son manque de courage à accepter le retour à la nudité originelle et céleste. La foule chante alors (et le discours n’est plus rapporté ici car elle s’adresse à l’homme et non plus au personnage divin) :

 

Il a pas d’organes !
Il a pas d’organes ! 
 …

 

C’est le bathos, la fin brutale du climax, le danseur n’a pas les épaules suffisantes pour porter la mission qu’on lui a confiée. La foule, qui l’avait choisi, se sent alors trahie. En effet, puisqu’il refuse sa mission divine de réconciliation entre l’homme et sa conception céleste de la nudité, c’est sûrement parce qu’il n’ « a pas d’organes ». Le seul moyen pour ce dernier de le prouver serait de se mettre nu, mais cette nudité deviendrait une nudité honteuse, car le danseur, ayant failli à sa mission, n’est plus métaphore divine pour la foule. Il serait nu en tant qu'homme et non en tant que prophète symbolique porteur d'un nouveau message. Il a perdu le rôle divin qu’on lui avait assigné. Il n’a pas su dépasser les considérations actuelles à propos de la nudité. Il a échoué à l’Ascension antithétique, à retrouver la pureté originelle de l’homme. La dernière image est donc celle d’un homme prétendument émasculé. C’est le prix à payer pour avoir déçu une foule en quête de sens.

En revanche, si le danseur termine nu comme le veut la chanson, la foule, en extase, l’acclame sous les applaudissements et les cris. La nudité originelle et absolue est au milieu de la foule, aucune honte, aucun tabou, la conception céleste du corps est comme accessible. La mission est achevée et le danseur peut se rhabiller quelques instants plus tard avec la conscience du devoir accompli. 

 

 

Détournée aujourd’hui pour de petits bizutages, la danse du Limousin est donc pourtant à l’origine une chanson à l’objectif inverse puisqu’elle consiste à diviniser un personnage central – le danseur – pour en faire une sorte de prophète destiné à rappeler aux hommes – la foule – la conception originelle et pure de la nudité. La danse ritualisée apparaît comme le processus inverse de la Chute d’Adam et Eve et constitue ce que l’on pourrait appeler l’Ascension. Il n’est ainsi guère étonnant que la foule hue ou acclame le danseur choisi si ce dernier refuse ou accepte la céleste tâche qui lui est incombée. Le danseur est ainsi avant tout honoré et non moqué dans la danse du Limousin. Le refus est vu comme un blasphème, une trahison envers la foule qui voyait en cette personne les compétences suffisantes pour mener la mission à bien. Aujourd’hui, peu de chansons religieuses moyenâgeuses et populaires ont traversées les âges comme la Danse du Limousin. Longue vie au Limousin alors !

 

*Pour ne viser personne, nous avons choisi le prénom François (bien que ce dernier puisse faire référence à certaines personnalités comme François Hollande, mais n’importe quel prénom peut faire référence à une personnalité. Donc c’est fortuit si vous pensez à François Hollande à la lecture de l’analyse).

 

Le jargon :

Parole performative : Qui accomplit un acte, en parlant d'un énoncé. 

Hypozeuxe : Parallélisme de construction. 

Polyptote: Répétition d'un même mot dans une même partie de texte mais sous différentes formes grammaticales (amour et aimer par exemple). 

Miracles: Pièces de théâtre du Moyen Age dont le sujet était tiré des écrits religieux ou de la vie des saints. 

Bathos:  Interruption inattendue d'une gradation.

Climax: Point culminant d'une gradation.  

 

Ps : Il n'y a point de vidéos officielles de la Danse du Limousin, mais vous pouvez trouver quelques extraits ici


01/01/2015
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PETIT PAPA NOEL - Raymond Vincy (1946)

« Noël n'est pas un jour ni une saison, c'est un état d'esprit » affirmait John Calvin Coolidge, 30ème président des États-Unis de 1923 à 1929. Quel est donc cet état d’esprit ? Vous pensez à l’innocence, la pureté, l’enfance, la folâtrerie ? Que nenni ! A en juger la célèbre chanson de Raymond Vincy mise en musique par le compositeur marseillais Henri Martinet puis fredonnée par Tino Rossi , l’esprit de Noël prend racine dans la réalité la plus terrible : le capitalisme radical. Car oui, Petit Papa Noël est avant tout l’affrontement entre un enfant (métaphore de tous les enfants) obnubilé par la possession matérielle et une figure paternelle symbolique qui tente bon gré mal gré de conserver l’esprit de Noël. Le schéma de la tragédie classique n’est pas très loin…

Raymond Vincy JTM.jpg

 

[Couplet 1]

C'est la belle nuit de Noël
La neige étend son manteau blanc
Et les yeux levés vers le ciel
A genoux, les petits enfants
Avant de fermer les paupières
Font une dernière prière.

 

La première strophe introduit l’ambiance hiémale de Noël. Le narrateur, ignorant pour l’instant le chant des enfants, met en place le décor. Les deux premiers vers sont à la chanson ce que l’incipit est au roman : très simplement, ils informent le lecteur ou l’auditeur que c'est la nuit de Noël et qu’il neige. Un sentiment d’apaisement, de sérénité ressort de ces deux vers. La nuit est en effet « belle » et la neige réconfortante et apaisante puisqu’elle constitue un « manteau blanc ». Le blanc connote d'ailleurs la pureté, donc l’enfance.
Mais de quelle enfance s'agit-il? Celle qui va être décrite s'avère des plus malsaines. Les quatre derniers vers de cette strophe nous présentent en effet des enfants abrutis non pas par l'esprit de Noël, mais par l'esprit du capitalisme : ces derniers prient « les yeux levés vers le ciel ». Cela signifie qu'ils ne sont pas à l'intérieur – sans quoi ils auraient les yeux levés vers le plafond – mais à l'extérieur, en pleine nuit, sous la probable tempête de neige, sur le givre et dans le froid. Qu'est-ce qui peut donc les motiver à endurer une telle souffrance ? En un mot comme en cent, les cadeaux (la suite du texte ne le dément d'ailleurs pas). Le narrateur est donc bien naïf d'appeler leurs suppliques une prière puisque les enfants ne sont sortis que pour quémander leurs présents. En outre, on constate qu'ils sont probablement en pyjama puisqu'ils s’apprêtent à « fermer les paupières » après leur « dernière prière ». L'esprit de Noël nous est donc présenté ici à travers cette scène surréaliste d'enfants priant dehors et dont on ne sait s'ils sont maltraités ou tout simplement inéduqués. Ce renversement des codes du genre est encore plus
évident dans la deuxième strophe.

 

[Refrain 1]
Petit Papa Noël
Quand tu descendras du ciel
Avec tes jouets par milliers
N'oublie pas mon petit soulier.

 

[Couplet 2]
Mais avant de partir
Il faudra bien te couvrir
Dehors tu vas avoir si froid
C'est un peu a cause de moi.

 

Les enfants font maintenant preuve d'hérésie puisqu'ils trahissent l'esprit traditionnel de Noël. Leurs pensées honteuses sont en effet explicitées dans cette seconde strophe. Ces derniers ne prient pas Dieu (Noël est une fête chrétienne quand même) mais le « Papa Noël » ; Papa Noël dont l'importance est minimisée par l'adjectif « petit » . L’enfant (par métonymie tous les enfants) ne songe d'ailleurs qu’aux «jouets par milliers », le Père Noël n'est que le moyen d'accéder à cette fin. En outre, son désir de « jouets par milliers » laisse entendre que son désir ne trouve grâce que dans la multiplicité, la possession matérielle. La métaphore est encore d'actualité : l'enfant apparaît comme le consommateur occidental typique et le Père Noël comme l'ouvrier asiatique exploité qui ne travaille qu'à satisfaire les caprices des consommateurs occidentaux.

Ce tyranisme envers la figure paternelle est d’autant plus flagrant au vers 10. L’enfant passe en effet à l’impératif. Il ordonne au « petit papa Noël » de ne pas « oublier » son « petit soulier ». En plus de cet ordre virulent, on note l'analogie effectuée entre un vulgaire soulier et le céleste Père Noël par l’utilisation du même adjectif pour les deux termes (le « petit » soulier et le « petit » papa Noël). Ce conflit entre l'enfant et le père n'est pas sans rappeler le schéma Œdipien, où l'enfant, jaloux de l'amour que porte son père à sa mère, souhaite inconsciemment le tuer. Cette pulsion primitive et refoulée s'exprime peut-être en partie dans le sadisme affiché de l'enfant : il rappelle au Père Noël qu’ « avant de partir / Il faudra bien [qu'il se] couvr[e] » car « Dehors [il fait] si froid »… Contrairement à ce qu'on pourrait penser, il ne s'inquiète pas pour le Père Noël. Bien au contraire, en réalité, il ne fait que lui rappeler qu’il n'affronte le froid que pour satisfaire ses caprices de petit capitaliste en puissance. La litote et quasi-hyperbate « c’est un peu à cause de moi » va en ce sens. L'enfant jubile de l'obligation annuelle imposée au Père Noël de lui offrir des cadeaux à cette période hivernale de l'année.

De l’innocente prière nous sommes donc passés au chant blasphématoire, qui insulte à la fois l’esprit de Noël et à la fois la figure paternelle. Moqué depuis le début, il n'est pas étonnant de penser que le Père Noël soit quelque peu réticent à venir visiter ces enfants. Par conséquent, la seconde figure paternelle de ce texte - le narrateur – essayera par la suite de réparer les dégâts.

Noel-des-enfants-214350.jpgNe vous fiez pas à l'air innocent des enfants nous prévient implicitement la chanson de Vincy

 

[Couplet 3]
Il me tarde tant que le jour se lève
Pour voir si tu m'as apporté
Tous les beaux joujoux que je vois en rêve
Et que je t'ai commandés.

 

Mais alors que le narrateur pensait que les enfants faisaient « une dernière prière» « avant de fermer les paupières », ils continuent de chanter et attendent même « que le jour se lève » sans cacher les raisons de cette attente : voir si le Père Noël a répondu à leur désir de consommation. L'utilisation du verbe « commander » qui vient du latin commendo et signifie ordonner ou dominer, contraste d'ailleurs avec l'esprit de Noël. On ne commande pas, on demande, on souhaite ou on requiert généralement à Noël.

 

[Refrain 2]

Petit Papa Noël
Quand tu descendras du ciel
Avec tes jouets par milliers
N'oublie pas mon petit soulier.

 

[Couplet 4]

Le marchand de sable est passé
Les enfants vont faire dodo
Et tu vas pouvoir commencer
Avec ta hotte sur le dos
Au son des cloches des églises
La distribution de surprises.

 

Face à tant de mépris, c'est dans cette quatrième strophe que le narrateur s'adresse au Père Noël et essaye de réparer le blasphème des enfants. L'objectif est de le rassurer afin qu’il puisse mener son travail à bien. Puisqu’il n’y a que lorsqu’ils dorment que les enfants sont gentils, le narrateur insiste donc sur le fait que le « marchand de sable est passé ». La strophe commence effectivement par cette précision et souligne bien que « les enfants vont faire dodo ». Le Père Noël ne semble ainsi pouvoir venir que lorsque les enfants dorment. Raymond Vincy donne ici la raison pour laquelle le Père Noël attend que les enfants dorment pour venir: il attend cela car ce sont simplement de véritables hérétiques lorsqu'ils ne se reposent pas. La chanson s'adresse donc aussi bien aux adultes qu'aux enfants qui comprendront qu'ils ne pourront pas voir le Père Noël tant qu'ils continueront de l'effrayer avec leurs suppliques blasphématrices. 

Le fait que le narrateur mentionne le « son des cloches des églises » est une façon de rappeler l'aspect religieux de la fête. Mais le combat est vain car cette image religieuse est la seule de toute la chanson. Les enfants ont bien trop perverti l'esprit de Noël pour qu'une simple image suffise à réparer les dégâts. Le narrateur apparaît ici impuissant et il s'agit, après le Père Noël, de la deuxième victime des enfants. 

 

[Refrain 3]

Petit Papa Noël
Quand tu descendras du ciel
Avec tes jouets par milliers
N'oublie pas mon petit soulier.

 

[Couplet 5]

Si tu dois t'arrêter
Sur les toits du monde entier
Tout ça, avant demain matin,
Mets-toi vite, vite en chemin.

Et quand tu seras sur ton beau nuage
Viens d'abord sur notre maison.
Je n'ai pas été tous les jours très sage,
Mais j'en demande pardon.

 

[Refrain 4]

Petit Papa Noël
Quand tu descendras du ciel
Avec tes jouets par milliers
N'oublie pas mon petit soulier
Petit Papa Noël.

 

Les enfants, sensés dormir après le passage du marchand de sable, psalmodient (la version chantée du texte est un véritable cri d'ailleurs) de plus belle. Après le Père Noël (première victime) et le narrateur (deuxième victime) le marchand de sable est donc la troisième victime de leurs suppliques. Son passage est d'ailleurs déjà un oubli, il n'a pas réussi à endormir les enfants. Plus aucune autorité n'intervient ici pour réguler le désir de ces esprits pervertis en train de « prier » dehors. A ce titre, les deux strophes ne constituent qu'une succession d'impératifs : les enfants ordonnent au Père Noël de se dépêcher et de venir d’abord sur leur maison (« Mets-toi vite en chemin » et « Viens d'abord sur notre maison »). Alors qu’au début de la chanson, ils précisaient simplement au Père Noël de ne pas les oublier (« n’oublie pas mon petit soulier » - ce qui est légitime en un sens), ils veulent maintenant qu’ils viennent les voir en premier. L’enfant (le groupe d’enfant) chante alors : « Je n’ai pas été tous les jours très sage ». Est-ce ironique ? Ce chant illustre métatextuellement la déraison de(s) l’enfant(s). Bien sûr qu’il n’a pas été tous les jours très sage puisque la chanson même le prouve ! Il a toutefois le culot de demander pardon, en parallèle avec la fin du texte. Comme si l’enfant avait soudainement un éclair de lucidité et qu’il remarquait le mépris avec lequel il a blasphémé le Père Noël. A moins que cela ne s’inscrive dans sa logique capitaliste de manipulateur invétéré ? Peut-être espère-t-il faire oublier avec un simple « pardon » qu'il s'est ouvertement moqué du marchand de sable en chantant après son passage, qu'il prit dans l'attente de recevoir et qu'il dénature l'esprit de Noël en agissant selon des principes contraires  ? 

 

L'esprit de Noël n’est donc pas celui que l’on croit pour bon nombre d’enfants. Là où le narrateur espère instaurer un cadre serein, hiémal, magique et religieux, les enfants chantent l’abjuration et s’enracinent, genoux à terre, dans une logique capitaliste effroyable. Ils ne veulent pas la petite clémentine ô combien savoureuse de leurs grands-parents, mais « les jouets par milliers », ils ne prient pas les puissances divines, mais le tout « petit papa Noël », ils ne prient d’ailleurs pas tout court, puisque ce que le narrateur appelle prière s’apparente plutôt à un chant blasphématoire. Bref, Petit Papa Noël est avant tout l’explicitation de l’esprit perverti et sadique des enfants et de l’impuissance des adultes à les remettre dans le droit chemin. Le narrateur finira en effet par se taire, le marchand de sable par disparaître et les enfants par chanter de plus belle. Le conflit paternel sous la houlette du symbolisme Œdipien a beau se faire discret dans le texte, la violence qui s’en dégage a de quoi faire frémir. Car c’est bien deux voix qui s’opposent : celle du narrateur symbole paternel qui s’ajoute au symbole paternel du père Noël et du marchand se sable, et celle du groupe d’enfant, de la « Bête Noire », qui chante son désir de possession, qui chante son sadisme, qui chante son inhumanité. Petit papa Noël est l’antithèse de l’esprit de Noël conventionnel. Que Marylin Manson l’interprète, cela n’étonnerait plus personne.



Le jargon :

Hiémal : Adjectif synonyme d'hivernal.

Incipit : Le début d'un roman (scène d'exposition généralement).

Litote : Procédé d’atténuation qui permet d’en dire plus que ce que l’énoncé littéral laisse entendre (exemple : dire « ça sent pas la rose » pour dire que ça pue).

Hyperbate : Prolongement d’une phrase là où on aurait pu s’attendre à ce qu’elle se termine, comme ce bout de phrase supplémentaire.


25/12/2014
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